Histoire de la courte existence de la mythique marque PEGASO

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Dans les années 1950, l’Espagne est dirigée d’une main de fer par le “Caudillo” Francisco FRANCO, qui est parvenu à s’emparer du pouvoir à l’issue de la terrible guerre civile qui a ravagé le pays entre 1936 et 1939, grâce au soutien politique et militaire de l’Italie de MUSSOLINI et surtout de l’Allemagne d’HITLER. L’effondrement de ces deux dictatures en 1945, au terme de la Seconde guerre mondiale va avoir pour conséquence de condamner, pendant un certain temps, l’Espagne à vivre repliée sur elle-même. Pâtissant déjà avant le déclenchement de la guerre d’un sous-développement chronique sur une grande partie de son territoire, le conflit entre Républicains et Franquistes n’a évidemment pas aidé le pays à développer son économie et son industrie, bien que l’Espagne soit restée neutre durant la Deuxième guerre mondiale. Dans les années 50, comme d’autres dictateurs rêvant de “restaurer la grandeur de leur pays”, FRANCO est convaincu que celle-ci passe, notamment, par la mise en place d’une industrie automobile. Certes, celle-ci existait déjà avant la guerre, avec la célèbre marque HISPANO-SUIZA (Connue pour les somptueuses voitures de luxe construites par sa filiale française, mais dont la maison-mère se trouvait à Barcelone), mais, du point de vue des chiffres de production, elle était toujours restée à l’ état embryonnaire… L’ état de délabrement dans lequel se trouvent l’ industrie et l’ économie espagnoles n’est donc guère propice (c’ est le moins que l’ on puisse dire) au développement et à la commercialisation d’ une voiture de prestige. Pourtant, le Caudillo est persuadé que ceux-ci constitueront un parfait symbole de la “renaissance de la nation espagnole” et, dans cet objectif, il charge l’ingénieur catalan WILFREDO RICART de concevoir la voiture en question.
Ricard n’est pas un novice en matière d’automobiles, bien au contraire. En 1918, une fois son diplôme d’ingénieur en poche, il se lance dans la fabrication de moteurs industriels. Comme beaucoup d’autres, il est aussi très vite fasciné par le monde de la compétition. Il crée alors un moteur de 1,5 l à seize soupapes équipé d’un système à double allumage développant 58 chevaux (Une puissance respectable à l’époque) qu’il monte sur une légère voiturette qui lui permettra de récolter ses premiers lauriers dans des courses locales. A la fin des années 1920, il entreprend de développer un modèle de catégorie moyenne, d’abord sous la marque Motores y Automobiles RICART, qui sera ensuite rebaptisée RICART Espaça. Le manque de crédits et les nombreux troubles sociaux qui ébranlent le pays à l’époque (Après que le roi Alphonse XIII ait été forcé d’abdiquer en 1931 et que la république ait été proclamée) vont toutefois mettre à mal ses projets industriels. Lorsqu’ éclate la guerre civile, en juillet 1936, RICART décide alors de se réfugier à l’étranger, dans un pays plus sûr. Et c’est en Italie qu’il choisit de s’installer. Affirmant dès le départ son soutien aux “forces rebelles” menées par le général Franco (qui sont soutenues par le Duce), ses relations politiques vont l’aider dans ses démarches pour se trouver une place au sein de l’ industrie automobile italienne; Il entre chez Alfa Romeo (qui est alors gérée par un organisme d’ état, l’ I.RI.) comme consultant rattaché au département des moteurs diesel, puis se voit rapidement confier un poste plus important au sein de la direction technique, où il s’ occupe, entre autre, du développement des moteurs d’ avions et de voitures de compétition. C’est là qu’il croisera le chemin d’un futur grand nom de l’automobile italienne, un certain ENZO FERRARI, qui s’occupe alors de l’écurie de course d’Alfa Romeo. Mais entre ce dernier et l’ingénieur catalan, le courant ne passera jamais vraiment. Les deux hommes ayant tous deux un fort caractère et des idées très arrêtées en matière de conception mécanique et il était clair, dès le départ, qu’ils n’étaient pas faits pour se comprendre. Lorsque les dirigeants de la firme décident de remplacer la structure indépendante que constituait jusqu’ alors l’écurie par un département Alfa Corse entièrement intégré au reste de l’entreprise, la direction en est confiée à RICART. Ulcéré par ce choix qu’il estime inconsidéré, le futur « Commendatore » quitte alors ALFA ROMEO en 1939.
Ayant désormais les coudées franches, RICART se met alors au travail pour concevoir les nouveaux moteurs destinés aux voitures de compétition de la marque. Avec l’aide de l’ingénieur COLOMBO (que l’on retrouvera, justement, après la guerre chez FERRARI), il crée une monoplace de Grand Prix, la Tipo 512, équipée d’un moteur seize cylindres de 1 500 cc en position longitudinale qui, grâce à l’aide d’ un compresseur Roots, développe la formidable puissance de 335 chevaux. Mais cette extraordinaire puissance ainsi que la position centrale du moteur vont avoir pour effet de rendre la tenue de route de la voiture pour le moins assez délicate et l’expérience sera rapidement arrêtée. Développée en parallèle, la Tipo 158 fera, elle, preuve d’une plus grande efficacité en course. En 1945, au moment où la Guerre prend fin, et sans doute à la suite des bouleversements politiques que connaît à son tour l’Italie, WILFREDO RICART retourne alors en Espagne, et plus précisément dans sa ville natale, à Barcelone. Là-bas, il se voit confié la direction du Centre des Etudes Techniques pour les Transports, un organisme rattaché au ministère des Transports, qui est chargé de définir les besoins du pays et les moyens à mettre en œuvre. Au regard de l’état du pays à l’époque, il a fort à faire pour remettre sur pied une industrie digne de ce nom. Ses premiers efforts portent d’abord sur la mise en place d’une usine de poids lourds, baptisée ENASA, dans les anciens ateliers d’Hispano-Suiza.
En dehors des grandes villes (et encore, pas dans toutes), les véhicules à moteurs, qu’il s’agisse des voitures ou des utilitaires, sont quasiment absents des routes et du territoire national, la plupart des gens, pour se déplacer, devant encore utiliser des carrioles tirées par des chevaux. En coulisse et durant son temps libre, RICART étudie toutefois un projet beaucoup plus ambitieux, celui d’une voiture de grand tourisme très sophistiquée réunissant tous les perfectionnements techniques de l’époque, dont certains n’avaient été utilisés, jusque-là, qu’en compétition. Le général Franco, lui, de son côté, avait plutôt dans l’idée, la création d’une nouvelle automobile espagnole de prestige, une imposante limousine qui, outre le fait de lui offrir une monture digne de son statut (et de son ego démesuré) pourrait le véhiculer à l’occasion des parades et autres défilés militaires. A la demande du Caudillo, un projet sera d’ailleurs étudié dans ce sens, baptisé Z-101, et qui aurait été équipé d’un V12 de 4,4 litres. Mais RICART réussit à convaincre le dictateur de donner son aval pour la mise en chantier de son projet de voiture de sport. Laquelle a été conçue pour pouvoir égaler (voire surpasser) les plus brillantes sportives du moment, particulièrement les FERRARI. S’inspirant des travaux qu’il a réalisé pour ALFA ROMEO, notamment un V8 à 2×2 ACT, équipé de soupapes refroidies au sodium, de chambres de combustion hémisphériques, d’un vilebrequin nitruré et d’un carter sec. Une fiche technique qui permettra à sa future GT de soutenir sans mal la comparaison face aux FERRARI, dotées, elle, d’un moteur V12.
Les toutes premières PEGASO sortent de l’usine de Barcelone en septembre 1951, sous la forme d’une série de cinq coupés carrossés par l’usine. Leur nom renvoie bien évidemment au célèbre cheval ailé de la mythologie grecque (Un nom et un logo que l’on retrouvera aussi bientôt sur les camions et les autocars construits par ENASA). Si l’inspiration des sportives italiennes de l’époque est évidente et les lignes aussi modernes que racées, les PEGASO n’en sont pas moins empreintes d’une certaine lourdeur. Particulièrement dans le dessin de la proue. Quoi qu’il en soit, l’insolite GT made in Spain ne manque pas de susciter l’intérêt des amateurs de belles sportives et des connaisseurs en matière de moteurs qui admirent sa fiche technique. La PEGASO pouvant assurément se vanter d’être l’une des voitures les plus innovantes et les plus sophistiquées de son temps. En plus de son moteur, on y retrouve, en effet, un système Transaxle (avec une boîte installée entre les roues arrière, en bout de l’arbre de transmission, ce qui favorise une meilleure répartition des masses), une boîte de vitesses à cinq rapports inversée et placée derrière le différentiel à glissement limité (fabriqué par la firme ZF), tous hérités de l’expérience de RICART sur les voitures de compétition. Quant aux suspensions, elles faisaient appel, à l’arrière, au système De Dion et, à l’avant, à des triangles superposés reliés à des barres de torsion longitudinales. Le freinage étant doté d’un système avant-arrière séparé commandant d’énormes tambours ventilés en position “in-bord”. La structure de la voiture étant, quant à elle, constituée d’une plateforme ultralégère abondamment perforée (pour gagner le plus de poids possible).
Le général Franco comme WILFREDO RICART ayant voulu que la voiture soit espagnole “jusqu’ au bout de ses pneus”, elle sera entièrement construite au sein de l’usine ENASA. Parmi les rares composants extérieurs figurent les carburateurs WEBER, les roues fil fabriquées par BORRANI en Italie et le système d’allumage conçu par BOSCH en Allemagne, ainsi que des éléments du système de freinage provenant de chez LOCKHEED et les pneus de chez PIRELLI. Le moteur, qui constitue évidemment la pièce maîtresse de cette superbe GT, fort compact, est disponible en trois cylindrées (2,5 l, 2,8 l et 3,2 litres) ainsi qu’avec quatre taux de compression différents, de manière à pouvoir s’adapter à tous les carburants disponibles en Europe, ainsi qu’une panoplie de carburateurs sur mesure (d’un à quatre Weber double corps), avec, au besoin, d’un ou deux compresseurs. La puissance, elle, va de 160 à 280 chevaux selon la cylindrée et l’alimentation. Cette volonté de proposer, sur le plan mécanique, une voiture pratiquement “à la carte” étant tout autant une volonté de séduire les riches sportsmen (souvent exigeants sur les performances de leurs montures) que de mieux coller à la politique menée alors par Enzo Ferrari, lequel faisait alors de même sur ses propres modèles. (Etant donné la production très limitée de la voiture, certaines des configurations proposées au catalogue ne verront toutefois jamais le jour).
En octobre 1955, RICART présente au Salon de l’automobile de Paris un nouveau V8, cette fois, cependant, de conception beaucoup plus simple, puisqu’ il renonce aux arbres à cames en tête au profit de simples culbuteurs reliés à un simple arbre à cames central. Une “régression” technique tout simplement dictée par un certain pragmatisme, la sophistication technique des Z-102 les rendant fort délicates à régler ou à réparer, même pour des problèmes bénins et y compris pour des mécaniciens chevronnés. L’augmentation importante de la cylindrée des moteurs (ceux-ci allant à présent de 3,9 l à 4,7 litres) devant, en théorie, compenser un rendement au litre nettement moins brillant. Développant jusqu’ à 360 chevaux dans sa version suralimentée, le V8 de 4,7 l devait favoriser des performances élevées et pouvait (théoriquement) permettre à la nouvelle PEGASO Z-103 d’atteindre les 275 km/h. Seuls quatre exemplaires (deux coupés et deux cabriolets), en tout et pour tout, seront toutefois équipés de ce nouveau moteur. (Celui-ci ayant également été conçu pour une opulente voiture d’apparat, qui ne verra malheureusement jamais le jour). Toujours dans son désir de vouloir concurrencer, à tous prix et sur tous les plans, son ancien rival Enzo Ferrari, WILFREDO RICART se lance également dans la compétition, convaincu que seuls les trophées acquis dans les plus grandes épreuves sportives peuvent asseoir la renommée d’une marque de grand tourisme. Une analyse tout à fait juste, mais, malheureusement pour lui, ses voitures n’y brilleront guère, à cause d’ennuis mécaniques incessants. Les conceptions techniques de RICART y montrant assez clairement leurs limites, leur trop grande sophistication, qui devait pourtant être leur atout, devenant leur principal talon d’ Achille.
Si la majorité des PEGASO seront réalisées (avec sa maestria coutumière) par le carrossier milanais Touring (42 exemplaires), outre celles carrossées par l’ usine (18 exemplaires), le reste, les PEGASO sorties des usines ENASA seront carrossées par le Français Jacques SAOUTCHIK (qui deviendra d’ ailleurs l’importateur de la marque en France) qui en réalisera 14 exemplaires (avant que le célèbre carrossier ne doive mettre la clé sous la porte en 1955) et les 5 autres restants par le carrossier espagnol Serra. Au total, seules 86 de ces fantastiques GT auront été produites. Leur trop grande complexité technique comme leur prix d’achat exorbitant (et leur coût de revient qui l’était tout autant), sur un marché qui était, déjà à l’époque, bien encombré, les condamnant, dès le départ, à devoir se contenter d’un rôle de figuration au sein de l’univers des GT. RICART étudiera bien le projet d’une berline Z-104 (toujours à moteur V8) destinée aux dirigeants du pays mais celui-ci n’aura pas de suite. En 1958, la direction d’ENASA estime, sans doute avec pragmatisme, que l’expérience a assez durée. WILFREDO RICART est écarté et il est mis fin aux projets en étude. La division automobile de PEGASO étant officiellement dissoute l’année suivante. Ainsi, RICART aura échoué dans son rêve de battre son rival de toujours dans la course à la création de la meilleure voiture de sport de leur époque. Comme beaucoup de créateurs de génie, il ne se souciait guère de questions aussi “triviales” que celle de la viabilité économique de ses créations…
Si elles n’ont été qu’une courte (mais très belle) parenthèse dans l’histoire de l’entreprise ENASA, les PEGASO auront néanmoins réussi à marquer de leur empreinte l’histoire des voitures de sport et demeurent, comme à leur époque, des “voitures de connaisseurs”. \lsdlocked